A PROPOS DE "Ma Kolyma"

"MA KOLYMA" TRIPTYQUE DE 3 CARRES (50X50CM)
 TECHNIQUE MIXTE SUR BOIS







Texte rédigé par Christophe GENIN - (Professeur des Universités - Université Paris I Panthéon-Sorbonne - LETA - EA2478 - Centre de Recherche Images, Cultures et Cognitions - Paris 1, Centre Saint-Charles, CRICC)


"Ma Kolyma" est un ensemble de trois panneaux qui peuvent s’apprécier dans leur continuité, de par la contiguïté des volets 1 et 2, et 2 et 3, comme dans une indépendance, chaque pièce ayant une autonomie plastique ou sémantique.
Cette œuvre combine étrangement des éléments figuratifs, avec ces visages comme suspendus sans qu’on puisse immédiatement leur rapporter une narration, et des éléments matiéristes, par une grisaille déchiquetée, comme une terre cendrée, rompue de crevasses et de craquelures, et rehaussée d’un ciel citrin.
Le titre Ma Kolyma nous suggère quelques propositions d’interprétation.
Kolyma est une région de Sibérie à la fois célèbre et méconnue. Elle est connue pour ses goulags où furent déportés, depuis la période stalinienne, les opposants politiques. Mais y fut mis en place un système concentrationnaire féroce, fondé sur un esclavagisme d’Etat opérant une traite humaine féroce, exploitant jusqu’à la mort des prisonniers de tous pays et de tous bords, pour tirer profit de gisements d’or. Dans les frimas blancs d’une terre gelée, les corps exsangues des esclaves s’épuisaient avant de mourir dans le silence d’un éternel linceul blanc et dans l’indifférence des autres nations, pour le métal de toutes les vanités.
Ma Kolyma prend alors toute son acuité. Ces chaos de matières, ces clives qui ouvrent des abîmes d’ombre dans des strates grises aux reflets cobalt ou violine, aux taches verdâtres, peuvent être une évocation d’une terre inhospitalière comme la métaphore des expériences extrêmes de l’âme, la rage chevillée à un corps exténué, décidée à durer. Sur un fond jaune, souillé de remontées noirâtres, transparaissent des visages. D’abord deux faces nettement perceptibles en 1 et en 3, masques d’un entêtement à tenir bon au cœur même du chaos. Puis deux visages cachés. En 2, ce petit profil au milieu du tableau, fondu dans des grumeaux de cendres, avec un sourcil froncé et une barbe de diable endurci ; et en 3, accolé à ce visage qui ressemble à celui de Boris Pasternak jeune, se dessine, comme incisé dans une ardoise, un visage de pierre aux lèvres pincées et au regard noir.
Ma Kolyma est cette persévérance dans l’humanité recomposée, par delà la souffrance, avec un visage qui persiste à faire trace contre toutes les forces d’éradication. Comme une sorte de Sainte Face d’humanité suspendue entre l’oubli et l’espérance."

Références :
Varlam Chalamov, Récits de la Kolyma, éditions Verdier, 2003